Portrait N°1

Sport : Rugby

IOAN DEBRACH

“ Tout est jouable, peu importe le parcours que tu as !”

Interviewé le 16/12/2024

Publié par Célian Frossard

Son parcours sportif

  • 2008 - 2009

    Centre de formation / Pro D2

  • 2009 - 2010

    Fédéral 1

  • 2010 - 2011

    Fédéral 1

  • 2011 - 2012

    Fédéral 1

  • 2012 - 2014

    Fédéral 1

  • 2014 - 2018

    Fédéral 1

  • 2018 - 2020

    Pro D2

  • 2020 - 2024

    Fédéral / National 2

Caractéristiques

Né le : 03 Juillet 1987 à Brive

Taille : 1 mètre 73 pour 72 kilos

Ancien Rugbyman professionnel

Poste : Ouverture

Pieds : Droit

Nationalité : Français

Situation Actuelle : Artisan Torréfacteur

Parcours Junior :

  • CA Brive Corrèze Limousin : 1994 - 2005

  • Stade Rochellais : 2005 - 2008

Pourquoi Ioan ?

Célian :

Il y a des parcours qui défient les schémas classiques, des trajectoires qui prouvent que la réussite ne suit pas toujours une ligne droite. Ioan en est l'exemple parfait. Sans être passé par un centre de formation traditionnel, il a su tracer son propre chemin dans le rugby, puis rebondir avec audace vers l’entrepreneuriat. Son histoire, c'est celle d'un passionné qui a su saisir les opportunités, rester fidèle à ses valeurs et prouver qu'avec détermination, tout est possible. Un parcours atypique, mais plein de sens.

« Opportuniste »
— Adjectif ContreCourant de Ioan

L’interview…

Un environnement rugbistique…

Célian : Quelle attache avais-tu à l'école à l'époque ? C'était un endroit où tu étais dissipé ?

Ioan : Non, je pensais être un enfant, entre guillemets, dans la norme. Je n'étais pas très extravagant, mais le terrain m'a quand même permis de trouver, je pense, un équilibre entre me lâcher en jouant et être plus posé ensuite.

Célian : Jusqu'à quand as-tu poursuivi tes études, du coup ?

Ioan : Du coup, pour mon cursus, j'ai fait du rugby, mais je ne suis pas entré dans un centre de sport-études.

Célian : Ah, c’est intéressant !

Ioan : Oui, je n’ai pas suivi ce parcours. Je suis resté à Brive jusqu'à mes 18 ans, puis je suis parti au centre de formation de La Rochelle.

Célian : Oui, c'est ce que j'avais vu.

Ioan et son ami Bastien (à droite au CA Brive)

I. : Mais j’ai loupé les… Il y avait des détections pour les centres de formation, j’en ai fait qu’une à Dax, et j’ai raté la date pour La Rochelle. Je les avais appelés pour essayer de trouver un centre, et je me suis retrouvé là un peu par hasard. En jouant les matchs aller-retour entre Brive et La Rochelle, ils prenaient, je pense, des notes sur les joueurs. Ils m’ont dit : “On t’a vu jouer quand on s’est affrontés, viens un week-end, on fera quelques entraînements.” Mais du coup, j’ai loupé la détection en tant que telle. Finalement, je suis entré au centre de formation, j’ai passé un bac en comptabilité à Brive, puis un diplôme de gestion à La Rochelle.

C. : À quel moment as-tu su que tu voulais devenir rugbyman ou du moins en faire ton métier ?

I. : Justement à l’époque, à Brive, vers 16-17 ans, on va dire. On s’entraînait en semaine avec le CAB, qui était un club phare à l’époque. Et le vendredi, on voyait revenir les mecs des sports-études s’entraîner avec nous, puis jouer avec nous le week-end. Notamment Alban Viozlange, un talonneur, Terry Brouhraoua et Alexis Palisson. Les trois revenaient, hop, et ils jouaient avec nous. À ce moment-là, ils cherchaient tous un centre de formation, se demandaient où ils allaient aller, s’ils allaient être pris à Brive ou non. Ils voulaient en faire leur métier. C’est là que je me suis dit : “Ça peut être cool de tenter.” Mais je savais que le centre de formation de Brive allait être compliqué, car il y avait vraiment beaucoup de joueurs. J’ai donc commencé à chercher ailleurs…

Le récit du premier match en professionnel …

C. : Raconte-moi un peu la journée qui a précédé ta première rentrée en Pro D2 avec La Rochelle. J’ai vu que tu avais fait une première saison en Pro D2 là-bas avant de partir, notamment à Périgueux.

I. : La première fois, je me souviens, j’étais à l’école. Il y avait une petite hécatombe de blessures à mon poste, et moi, j’étais en rendez-vous extérieur, j’avais éteint mon portable. En fait, le coach de la première et mon coach du centre de formation avaient essayé de m’appeler une quinzaine de fois. J’ai pris une bonne remontrance parce que mon téléphone était coupé. Du coup, je suis vite rentré à l’entraînement, j’ai fait, je ne sais plus, deux séances, et ensuite, je suis entré en jeu contre Pau. C’était un beau club, qui jouait un peu plus haut que nous au classement. Après, on avait la chance d’avoir à l’époque plein de joueurs qui nous mettaient en confiance.

C. : Et tu savais que tu allais commencer titulaire ou tu étais sur le banc ?

I. : Non, non, tu ne commences pas, tu es sur le banc. Et pour la petite anecdote, le coach m’a fait rentrer sur le premier match du championnat… mais en 15, donc à l’arrière ! Puis, le 9… je ne me souviens plus s’il était fatigué ou blessé…

C. : Et tu reviens à ton poste dans le match ?

I. : Oui, je glisse en 9 pendant la rencontre.

C. : OK. C’était quoi ton sentiment quand tu es rentré ? Il y avait beaucoup de spectateurs ? Tu as ressenti une certaine pression ?

I. : Beaucoup de spectateurs… tout est relatif, mais oui. À l’époque, le stade était souvent plein. À La Rochelle, il y a toujours eu cet engouement.

C. : C’est une vraie ville de rugby !

I. : Oui, je dirais qu’il y avait 5000 ou 6000 personnes. Après, tu ne réfléchis pas trop, tu passes à l’action. Et puis, tu as tout l’échauffement pour monter en pression. Mais ma première entrée, ça devait être pour 15 minutes. Un bonheur ultime, parce que c’est pour ça que tu travailles depuis trois ans. Je n’avais pas encore fini le centre de formation, et franchement, j’étais comme un dingue.

“ Franchement, J’étais comme un dingue… ”

C. : C’était un moment charnière dans ta vie ? Tu le décrirais comme une grande réalisation ?

I. : Oui, clairement. C’était une vraie satisfaction, parce que c’était loin d’être gagné. Je n’avais pas du tout suivi un parcours classique.

C. : Ahah… Un peu à contre-courant, finalement ?

I. : Oui, grave. Carrément. À l’époque, je faisais 63 kilos… Allez, peut-être 70. Dans un sport qui recherchait avant tout de la puissance et des caractéristiques athlétiques très développées. Je me souviens que j’avais deux potes pas loin de La Rochelle, je leur avais filé deux places, ils étaient en tribune. Et mon frère, qui bossait en Suisse à l’époque… Après mon premier match en première – petite anecdote, je marque un essai ce jour-là – il a traversé la France pour venir me voir au centre de formation le lundi. Il était tellement comme un dingue…

C. : Ça devait être un moment émouvant.

I. : Oui, c’était sympa.

C. : Dis-moi, est-ce que ce déficit, ou du moins le fait d’être à contre-courant par rapport à la carrure classique d’un rugbyman, tu en as fait une force dans ton jeu ?

I. : Forcément. Tu sais qu’au niveau de la puissance, tu ne retourneras personne. Donc, il faut s’adapter, essayer de chercher les espaces plutôt que d’aller dans la confrontation.

C. : Oui… Tu étais un joueur d’espace, pas un joueur de contact.

I. : C’est ça. Mais le rugby, même si ça ne se voit pas toujours, reste un sport d’évitement.

C. : OK. Mais est-ce que tu ressentais une appréhension quand tu devais aller taper dans les avants ?

I. : Non, ça, par contre, tu ne réfléchis pas. Si tu commences à penser à ça, tu ne rentres pas sur le terrain. Parce que, même si tu cherches les espaces, tu n’en as pas tout le temps.

Un retour en Pro D2 à l’US Bressanne Pays de l’Ain !

C. : Décris-nous ton expérience à l’US Bressane Pays de l’Ain.

I. : C’était une expérience enrichissante. Quand je suis arrivé à Bourg, le coach et notamment le capitaine avaient une approche différente des autres clubs par lesquels j’étais passé. C’était un club familial, avec des valeurs fortes, notamment sur les joueurs régionaux et français. Ils voulaient faire les choses un peu différemment des autres, donc on était un peu l’équipe à part du championnat. Et ça a plutôt bien fonctionné : on gagne 13 matchs à domicile. Pour ma part, j’ai enchaîné tous les matchs, sauf un en déplacement à Bayonne où le coach m’a mis au repos. Je pense que l’accumulation des grosses saisons a fini par peser, et en janvier, je me suis rompu le tendon d’Achille. J’ai mis cinq mois à revenir, ce qui m’a empêché de jouer la fin de saison. C’est pour ça qu’il n’y a pas de match entre janvier et juin pour moi.

C. : Qu’est-ce qui, selon toi, a pu te freiner dans l’idée de t’imposer comme un joueur référence en Pro D2 ?

I. : Je pense que la blessure a été un gros frein… Et puis, on est redescendus avec le club.

C. : Tu avais atteint un plafond de verre ?

I. : Je pense qu’à 30 ans, entre 28 et 30 ans, j’étais à mon pic de niveau. J’étais capitaine à Mâcon sur la finale, sur la demi-finale. Puis j’arrive à Bourg, je suis en pleine confiance, je me sens vraiment bien. Je suis buteur, avec un taux de réussite de 83 à 85 %. Tout va bien. Mais si à ce moment-là, personne ne t’appelle, c’est que tu as atteint ton plafond. A priori, il n’y a pas d’équipe à qui tu peux vraiment apporter.

Un retour flamboyant en Pro D2 à l’US Bressanne Pays de l’Ain

L’anecdote marquante avec

“ Macon (…) On a tout vécu avec ce club là… ”

I. : Pour la petite anecdote, en finale contre Rouen, lors du championnat qu'on perd avec Mâcon, je suis allé voir ma famille dans les tribunes. Comme j'étais capitaine, ils m'ont appelé pour me remettre un trophée. Je pensais que c'était celui des perdants, alors on est rentrés dans les vestiaires et, un peu frustrés par la défaite, on l’a jeté par terre… Sauf qu'en fait, c'était le trophée du meilleur joueur de la finale.

C. : C'était le trophée Jean-Prat ?

I. : Ouais, je crois bien. Je pense que c'était ça. Du coup, quand j'ai su ce que c'était réellement, je l’ai récupéré et je l’ai donné à mon père pour qu’il le mette dans sa salle de jeu.

C. : Es-tu fier de ton parcours ?

I. : Plutôt, oui. Même si je n’ai pas goûté au très, très haut niveau… Mais c’est comme ça.

Quel type de joueur était Ioan ?

Célian : Tu le décrirais comment ton caractère sur le terrain ? Tu avais une forte personnalité, une personnalité marquée ?

Ioan

« À l'époque, il y avait encore ce stéréotype du gabarit idéal, même si aujourd'hui, il tend à disparaître. Du coup, ils m'ont formé en tant que n°9. De base, je suis quand même assez timide. Mais sur le terrain, je suis plutôt quelqu'un, un peu caractériel et un peu ténieux. »

C : Caractériel dans la manière de jouer, pas dans l'expression ?

I : Non, dans la façon de jouer. Et puis de toute façon, la charnière, il faut qu'elle tienne l'équipe. Donc voilà, toi, tu es 9, tu as ton paquet d'avant. Tu as 8 mecs qui faut qu'il t'écoute. Donc à un moment donné...

C : Il faut qu’ils aient confiance en toi, en ta capacité de mener ?

I : Exactement

Célian : Ton sentiment sur ton dernier match ?

Ioan :

“ D’avoir bouclé la boucle ! ”

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Sa reconversion

Une choix fort de Ioan…

C. : Ça implique quoi de créer une société ? C'était une expérience nouvelle pour toi ?

I. : Ça demande pas mal de persévérance.

C. : Et tu as mis de ta personnalité dans cette création ?

I. : Je pense que mes clients le ressentent. J’essaie d’être naturel, de ne pas jouer un rôle, et je crois que ça fait la différence. Certains signent avec moi pour ça. Après, monter une société, ça demande de l’envie. Petite anecdote à ce sujet : on n’avait même pas encore ouvert la société qu’on recevait déjà un courrier de LINDT nous demandant de modifier un paragraphe dans notre déclaration de marque à l’INPI. Ils craignaient une confusion entre LINDT et LION D’OR café, si on enlevait "café". Pour éviter toute mauvaise concurrence et des ennuis avec leurs avocats, on a dû décocher une case sur la déclaration. Je me suis dit : “OK, on n’a même pas encore fait notre première torréfaction qu’on risque déjà des poursuites. C’est parti !”

C. : OK. Quels sont les apprentissages du sport qui te suivent encore aujourd’hui ?

I. : Le côté fédérateur du sport collectif, qui est très marqué dans le rugby. C’est fondamental. D’une saison à l’autre, tout peut basculer, entre bons et mauvais résultats, et ça se joue à pas grand-chose. Cette valeur-là, j’essaie de la retransmettre dans mon entreprise.

Ioan, son frère et son père jouant au rugby

C. : Tu te sens à contre-courant par rapport à ce que tu vois de la société ? Si oui, qu'est-ce que ça implique et qu'est-ce que ça t'a apporté ? Au vu de ton parcours… Tu n’es pas passé par un cursus classique en sport étude, tu as fait ta carrière un peu différemment, puis tu es sorti du monde du sport pour te lancer dans l’entrepreneuriat. Quelle est ta vision ? Est-ce que tu ressens un décalage ?

I. : Un petit peu, forcément. Je n’ai pas suivi le parcours traditionnel, donc on peut dire que j’étais un peu à contre-courant. Mais ça ne m’a pas empêché d’atteindre mon meilleur niveau. Il faut juste se donner les moyens de le faire.

C. : Ou du moins, tu as développé une vision différente grâce à ton parcours. Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté ? Tu ressens une plus-value ou une force particulière par rapport à d’autres ?

I. : Bah justement que tout est jouable, peu importe le parcours que tu as. Même si tu n’es pas en sport-études à 13 ans, tu peux quand même arriver à te faire plaisir et à faire une carrière où tu t’épanouis. Et derrière, ça ne t’empêche pas non plus de monter une société. Demain, avec Clô (sa femme), je ne sais pas ce qu’on fera, mais on a cette vision de ne pas trop se projeter à 10 ans.

C. : (…) Quelles valeurs un parcours atypique dans le sport peut-il transmettre ?

I. : Que rien n’est écrit d’avance. Ce n’est pas parce que tu es né avec une cuillère en argent dans la bouche que tout est tracé pour toi. Et ce n’est pas parce que tu viens d’un milieu difficile que tout sera forcément compliqué. Tu peux quand même réussir à être heureux et à tracer ton propre chemin.

C. : Si tu devais décrire ton parcours en un mot, quel adjectif choisirais-tu ? Improbable, surprenant, ascendant ?

I. : Opportuniste. Ça me plaît.

C. : Dernière question : quel moment ou quelle réalisation de ta carrière résume le mieux ta personnalité ?

I. : J’aime bien tes questions, elles font réfléchir. Elles me sortent de ma zone de confort…

C. : Il faut bien que j’apporte quelque chose d’un peu différent, sinon ce n’est pas drôle !

I. : (Rires) Mais je pense que ce qui me résume bien, c’est mon arrivée au centre de formation de La Rochelle. Après les détections, j’ai appelé le responsable du centre pour lui demander s’il voulait bien me prendre. J’ai voulu tenter ma chance, rester authentique. Je me souviens être arrivé un vendredi, ils jouaient les phases finales avec les jeunes, les Crabos. J’ai participé à leur mise en place, mais comme je ne connaissais rien au système, je n’ai pas servi à grand-chose. J’ai fait un peu de jeu au pied, du tir au but… Je suis rentré chez moi. Et le lundi, il m’a appelé pour me dire : “On te prend au centre de formation.” Et là, c’était parti.

C. : Parfait. Merci.